Comment peut-on encore croire en l'Europe actuelle ? Comment encore admettre qu'elle puisse être le reflet d'une union populaire faite dans l'intérêt des populations ? Comment expliquer qu'elle puisse illustrer une force collective de progrès ? Malgré tous les effets d'annonce, tous les sommets d'autosatisfaction, toutes les conférences de presse jubilatoires, les réalités prennent le pas sur les espoirs. N'en déplaise aux européistes béats, il faut bien reconnaître que les politiques actuels trahissent, au nom de leurs intérêts personnels, l'esprit de solidarité qui devrait sans cesse animer l'UE. C'est du n'importe quoi, avec des tractations pour arriver au plus petit dominateur commun... et encore, l'adjectif commun est en trop.
Les hurlements de triomphe, après l'élaboration de textes sans cesse axés sur le profit direct ou indirect, ne changent rien aux faits. Il est vrai que plus grand monde ne croit en une structure supranationale qui empile les normes, les interdits, les contraintes techniques, et qui bafoue en permanence la démocratie. On le constatera dans quelques mois, lors du vote pour élire des parlementaires européens que personne ne connaît, sauf lorsqu'il s'agit de recalés du suffrage universel, possédant une notoriété avant leur entrée au Parlement de Starsbourg. La mascarade, liée au vote irlandais sur le Traité de Lisbonne, ne va pas arranger cette perception d'une ambiance découlant d'arrangements entre amis qui ne se veulent surtout pas du bien. Impossible de soutenir que la citoyenneté en sort grandie !
Le Premier ministre irlandais Brian Cowen, s'est dit hier, enfin prêt à organiser un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne dans son pays, à condition que les garanties promises par l'UE soient bien remplies. Il a passé, au nom de son peuple, une sorte de contrat « commercial » avec des clauses de compensation, comme l'aurait fait un marchand de tapis. « Sur la base de l'accord d'aujourd'hui, et à condition que nous puissions mettre en place les garanties de manière satisfaisante, j'ai dit que je serais prêt à revenir devant l'opinion avec un nouveau paquet de propositions afin de chercher à obtenir leur approbation pour cela », a-t-il déclaré à la presse à l'issue du sommet des dirigeants européens à Bruxelles. Sous-entendu : je suis prêt à influer au maximum en faveur de votre choix européen, à condition que vous me donniez ce que je veux pour les miens.
Le chef du gouvernement fait référence aux garanties promises par les partenaires européens de l'Irlande lors du sommet : maintien de son commissaire européen à Bruxelles, assurance que la neutralité militaire du pays, son autonomie fiscale et sa législation sur l'avortement ne seront pas remises en cause par le traité... A ce rythme là, il n'y aura bientôt plus d'Europe, car les Polonais ont leurs revendications, les Allemands leur orthodoxie économique, les Italiens leurs trucages permanents et... la liste serait immense, au prétexte que, pour obtenir le soutien d'un pays, il faille céder sur tous les principes communs. En fait, cette construction européenne ne se fait que sur des exceptions qui ne confirment jamais les règles !
LE REFERENDUM INUTILE
Pour permettre à Dublin de conserver son commissaire à Bruxelles, les Européens vont renoncer à un projet de réforme, considéré jusqu'ici comme emblématique, qui devait aboutir à la suppression du principe "un commissaire par pays" à partir de 2014. Plusieurs Etats, qui tenaient à cette réforme, n'ont accepté le compromis qu'à reculons et ils n'ont pas digéré qu'on échange un référendum contre des décisions antérieures peu durables !
« C'était ça ou pas de traité de Lisbonne », a estimé, sûr du résultat, Nicolas Sarkozy, qui présidait le dernier sommet de sa présidence de l'UE. Ce n'est même pas la peine que les Irlandais aillent voter, puisque le résultat a déjà été vendu par son gouvernement ! On se souvient combien les commentaires avaient été sévères en France quand les électrices et les électeurs n'avaient pas voté comme le souhaitait une bonne partie des élites de l'opinion dominante !
Les pays européens comptent acter les garanties promises à l'Irlande dans un texte juridiquement contraignant, un protocole, qui implique la nécessité d'être ratifié. Il ne devra toutefois pas être ratifié séparément, et une procédure simplifiée est prévue: le document sera ajouté au futur traité d'adhésion à l'Union européenne de la Croatie, si celle-ci adhère bien au bloc à l'horizon 2010-11. Grâce au compromis scellé à Bruxelles, la crise institutionnelle que traverse l'Europe depuis le rejet du projet mort-né de Constitution, par les Français et les Irlandais, est en voie de règlement. « C'est reparti, c'est une excellente nouvelle pour tous les européens », a déclaré Nicolas Sarkozy qui ne rêve que de régler, sans consultation populaire, les problèmes politiques qui se présentent devant lui. On ne va tout de même pas s'embarrasser d'un vote !
« Avec la crise, j'espère que les Irlandais comprendront combien on a besoin d'Europe », a expliqué le Président en exercice. Peut-être, mais pas de cette Europe là, unie par une seule obsession : comment permettre à chacun de persuader son opinion publique qu'il retire le plus grand profit d'une action solitaire contraire à l'intérêt général. Il suffit de se pencher objectivement, et avec un brin de recul, sur le texte relatif au réchauffement climatique. Les dirigeants libéraux pourraient avoir le triomphe un peu plus modeste.
RESTEZ MODESTES
Les dirigeants de l'UE ont trouvé un accord pour mettre en œuvre leurs ambitieux objectifs de protection du climat, qui doit servir d'exemple pour les négociations internationales, permettant à la France d'achever sur un succès sa présidence de l'UE. Rien que ça ! « Il n'y a pas un continent au monde qui se soit doté de règles aussi contraignantes », s'est félicité le président français Nicolas Sarkozy, lors d'une conférence de presse, à l'issue du sommet. Pourquoi? l'Afrique a les moyens de faire pareille concertation ? Pourquoi? l'Océanie est concernée par l'effet de serre produit par son industrie ? A moins que le Président vise l'Asie, et surtout la Chine, ce qui constituerait une position courageuse... Quant à l'Amérique, on sait fort bien qu'elle n'a jamais voulu admettre la nécessité d'une telle décision. En référence continentale, je n'en vois pas d'autres. Et au fait, où classe-t-on la Russie ?
Le plan d'action adopté doit permettre à l'UE d'atteindre d'ici 2020 le triple objectif qu'elle s'était fixé en 2007 : réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leurs niveaux de 1990, porter la part des énergies renouvelables à 20% de la consommation, et réaliser 20% d'économies d'énergie. On sait que l'enfer est encore pavé de bonnes intentions, car il manque toujours, à coté de ces principes, les... moyens de les mettre en place. A moins que l'Allemagne, l'Italie et la Pologne, les trois grands pays qui avaient brandi des menaces de veto au plan européen avant le sommet, et ont finalement accepté le compromis, se soient battus pour obtenir des... compensations. Ils étaient particulièrement inquiets des contraintes imposées par ce plan, en pleine crise économique, à leurs industriels, dont la plupart devront commencer en 2013 à acheter aux enchères des permis d'émissions de CO2 qu'ils recevaient jusqu'ici gratuitement. On a donc accordé toutes les dérogations possibles et imaginables.
Au final, avec toutes les exemptions obtenues par les uns et les autres, la proportion de permis à polluer que devront acheter les industriels restera encore très faible en 2013, même s'il est prévu qu'elle augmente graduellement d'ici 2020. Les centrales électriques au charbon de Pologne et des autres pays de l'est n'auront, elles, à payer que 30% de leurs quotas d'émissions en 2013, pour arriver progressivement à 100% en 2019. Un résultat dont le Premier ministre polonais Donald Tusk s'est dit « satisfait », car il lui permettra de négocier ce qu'il veut, quand il veut, en raison de l'absence de sanctions possibles.
DEFENDRE LES INTERETS INDUSTRIELS
Cette Europe a oublié l'Homme, pour privilégier le profit. Mais comme la dimension humaine n'a véritablement aucune valeur particulière face aux obligations, aux actions, aux dividendes et aux banquiers, on en profite pour signer un accord au rabais ! L'Allemagne et l'Italie, qui avaient également brandi des menaces de veto, ont manifestement obtenu des exemptions pour leurs industries les plus soumises à la concurrence, puisqu'elles se montraient satisfaites. Le principe, pour les industries peu soumises à la concurrence extra européenne, est un achat progressif des permis de polluer: de 20% à partir de 2013, pour arriver à 70% en 2020 et 100% en 2025. Silvio Berlusconi n'a pas hésité à parader et à cracher le morceau, en indécrottable matamore : « Notre habilité tactique a payé. Nous n'avons pas eu peur de menacer d'opposer un veto pour obtenir des décisions de bon sens afin de défendre les intérêts de notre économie manufacturière ». Une déclaration d'un cynisme absolu, qui ne correspond pas du tout à celle de Nicolas Sarkozy. Mais peu importe, on a adopté la technique française de l'effet d'annonce pour sauver la face. Les secteurs les plus exposés à la concurrence bénéficieront quant à eux de droits d'émission partiellement ou totalement gratuits, afin d'éviter les délocalisations. Et ce, tant qu'il n'y aura pas d'accord international soumettant leurs concurrents non-européens à des contraintes similaires. Les secteurs du ciment et de la chaux sont ainsi complètement exemptés, durant encore de longues années.
Tout le monde est loin de partager cet enthousiasme. Les nombreuses exemptions accordées, et l'absence de sanctions, font dire aux organisations de défense de l'environnement que cet accord constitue « un échec ». Mais de quoi se mêlent-ils ? « C'est une journée noire pour l'Europe. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont renié leurs promesses et tourné le dos aux efforts mondiaux pour combattre le changement climatique, dénonce un communiqué du Réseau action climat, Greenpeace, le WWF et Friends of the Earth Europe. Angela Merkel, Silvio Berlusconi, Donald Tusk devraient avoir honte. Ils ont choisi de favoriser les profits privés des industries polluantes contre la volonté des citoyens européens ». Ces ONG ont appelé le Parlement européen à amender le texte lors du vote prévu en première lecture la semaine prochaine. C'est-à-dire à redonner une dimension légèrement démocratique à cette Europe de partage des intérêts particuliers n'ayant jamais fait l'intérêt collectif. Que ce soit à l'échelle européenne ou à celle de chaque pays.
Mais je déblogue...