Il y a toujours des signes d'évolution des mentalités dans l'actualité, si l'on prend le temps comme le fait L'AUTRE QUOTIDIEN de ne pas se contenter du filtrage destiné à l'opinion dominante. Par exemple, que la crise sociale qui a succédé à la crise économique va exacerber un certain nombre d'esprits fragiles. C'est une constante dans l'Histoire, et le basculement de l'Europe, territoire d'où ont émergé les plus belles et les plus nauséabondes idées, vers la face obscure des idéaux, n'a donc rien d'étonnant. Election après élection, dans tous les pays, les concepts de l'exclusion, du repli sur soi, du racisme, de la précarité gagnent du terrain, sans véritablement exister dans les programmes proposés directement aux Peuples. Les grands médias passent sous silence les signaux forts qui clignotent dans le brouillard des démocraties, car il vaut mieux s'attarder sur les phares des apparences. Ce renoncement à parler, et à dénoncer le pire, va ouvrir la porte aux manquements les plus graves à ce qui a fondé l'Europe.
Par exemple, l'Allemagne qui se veut de plus en plus dominatrice, plonge, sur une partie de son territoire, vers des extrêmes de mauvais augure. A-t-on parlé en France de cette terrible réalité ? Le scandale a donc éclaté, avec une semaine de retard, comme si tout dans cette tragédie dérangeait : la « mauvaise » victime, le « mauvais » assassin et surtout, le « mauvais » cadre... Marwa el-Sherbini, une jeune pharmacienne égyptienne, voilée, enceinte de trois mois, et vivant en ex-RDA, a en effet été assassinée de 18 coups de couteau, sous les yeux de sa famille, le 1er juillet, en pleine Cour d'appel de Dresde où elle était venue témoigner. Incroyable mais vrai. Voici un Etat réputé démocratique, responsable, accueillant, qui laisse un accusé entrer dans un tribunal avec un couteau, et qui ne protège pas un témoin fragile mais courageux... Comment croire que de tels faits peuvent être seulement le fruit de mauvaises circonstances ? Comment ne pas voir un signe angoissant de ce racisme, épouvantable, rampant, qui ronge les esprits ? Comment ne pas avoir honte que pareils comportements puissent encore exister dans un pays qui souhaite imposer aux autres une certaine vision de l'Europe ?
Son assassin est un Allemand d'origine russe de 28 ans, au chômage et proche du parti d'extrême droite NPD. Il avait été condamné en première instance, l'an passé, à verser... 780 euros de dommages et intérêts à celle qu'il a froidement assassiné à la suite d'une altercation sur une aire de jeux. La jeune femme, qui portait le foulard, lui avait demandé de libérer la balançoire pour son fils. Une atteinte à la dignité de cet attardé mental qui occupait les lieux, comme c'est le cas souvent dans tous les espaces publics de ce genre. Il avait répondu par l'injure, l'invective, l'arrogance que lui conférait sa supposée supériorité raciale et culturelle. Lui, l'immigré russe, pouvait invectiver l'immigrée égyptienne !
Le néo-nazi avait explosé, traitant sa victime d'«islamiste, de terroriste et de salope» mais avait bénéficié de l'indulgence du juge de première instance : une amende ! Le procureur avait fait appel, estimant la peine trop légère et la justice trop laxiste. Il avait vu juste, sans se douter du drame qu'allait causer cette décision courageuse, puisque qu'en appel, ce fut une véritable boucherie !
LE VERNIS PAS LES RACINES
Depuis, la justice de Saxe n'a pas fini d'entendre des reproches et d'être mise en cause. «Comment un accusé a-t-il pu frapper un témoin de 18 coups de couteau, sans que personne n'intervienne ?» s'interroge à juste titre, mais tardivement, la presse allemande. Ni le juge, ni le personnel de sécurité présent aux abords de la salle d'audience ne se sont interposés. Seuls, le mari de la victime, également grièvement blessé à coups de couteau et l'avocat du coupable, qui s'est jeté sur son client avec une chaise sans parvenir à le neutraliser, ont tenté de porter secours à la jeune femme. Pire, le premier policier à pénétrer sur les lieux prend le mari pour l'agresseur, et lui tire une balle dans la jambe. Et lorsque la classe politique prend enfin la parole, c'est d'abord pour s'interroger sur les mesures de sécurité en vigueur dans les tribunaux saxons... mais surtout pas pour aborder le fond. Et c'est là que l'on peut s'interroger ! La dimension xénophobe de l'affaire est, pendant une semaine, totalement occultée.
«Si Marwa avait été juive, cela aurait suscité d'autres réactions», regrette le quotidien égyptien Al-Shorouk.«Marwa est la victime de l'islamophobie occidentale. Mais nous, les musulmans, devons également nous demander pourquoi nous ne sommes pas à même de révéler la vraie nature de l'islam», note pour sa part l'Egyptian Gazette, proche du gouvernement. Marwa el-Sherbini, la victime véritablement innocente, est considérée en Egypte comme «une martyre du foulard», et plusieurs manifestations ont lieu dans le pays. En Allemagne, rien, ou seulement un débat sur le portique de sécurité qui n'a pas fonctionné, sur les fouilles mal faites et sur les mesures concrètes à prendre. En fait, ce sont les manifestations en... Egypte, qui réveillent quelques consciences endormies ! Pourquoi ces gens là protestent-ils contre un fait divers, qui ne dénote rien d'autre que le déséquilibre mental d'un assassin marginal. Sauf que ces faits du quotidien se reproduisent de plus en plus à travers l'Europe, donneuse de leçons au reste de la planète !
REVEIL TARDIF SOUS PRESSION
Des douzaines d'Egyptiens ont scandé «les Allemands sont les ennemis de Dieu» devant l'ambassade d'Allemagne au Caire. Sans les réactions outrées des associations musulmanes - et juives - dénonçant le racisme rampant et, surtout, sans la colère des Egyptiens, l'affaire serait sans doute restée consignée aux pages faits divers de la presse locale dans l'ex-RDA, dans laquelle les événements de ce type sont légions. «Nous exigeons que la classe politique, y compris la Chancelière, fassent une déclaration claire et sans équivoque», demande le secrétaire général du Conseil central des musulmans. «La haine de l'islam est en train de devenir une forme acceptable du bon vieux racisme», déplore le quotidien Tagesspiegel.
La perception de ce crime change lorsque l'opinion allemande découvre avec stupeur, en début de semaine, les images de l'enterrement de la victime : des milliers d'Egyptiens, le visage défiguré par la colère ou la douleur, brandissent à Alexandrie le cercueil de la défunte. Berlin est bien obligé de sortir de sa réserve. Le gouvernement fait savoir, contraint et forcé, qu'Angela Merkel rencontrera Hosni Moubarak en marge du G8, pour évoquer le meurtre «apparemment xénophobe» (sic) de Dresde. Au lendemain du crime, le porte-parole du gouvernement estimait que les circonstances étaient «trop floues» pour prendre position... Lamentable car il ne fait aucun doute, absolument aucun doute de la nature raciste du meurtre. Le néo-nazi était arrivé de Perm, dans l'Oural russe, en 2003, et avait très rapidement appris l'allemand, sans parvenir à prendre pied en Allemagne.
Avant de frapper sa victime, devant le tribunal passif, le jeune homme l'avait apostrophée :
« Quel droit avez-vous de vivre ici ? Vous n'avez rien à faire ici. J'ai voté pour le NPD. Tout ça sera fini quand le NPD sera au pouvoir...» Depuis longtemps déjà, le parti d'extrême droite cherche à enrôler ces Allemands de souche, persécutés par le régime stalinien, qui ont massivement fui la Russie à la chute du Mur, profitant du « droit du sang » qui leur accorde automatiquement la nationalité allemande, même s'ils ne parlent pas la langue, et ont perdu de longue date tout contact avec la culture germanique. On sait aussi qu'en Russie règne, grâce à l'indifférence du pouvoir, un climat de racisme outrancier, dont on ne parle guère dans les pays occidentaux. En Roumanie, en Slovaquie, en Bulgarie, en Pologne, en Autriche, en Italie, aux Pays Bas, au Danemark, les idéaux du NPD sont relayés par des partis solides, s'appuyant sur un populisme ravageur !
UN JEU DE ROLES COUPABLE
L'enquête permettra certainement de déterminer quel rôle le NPD a pu jouer dans cette affaire, et permettra d'en savoir plus sur le passé du meurtrier qui, selon la presse allemande, se serait battu en Tchétchénie aux côtés des troupes russes avant d'émigrer en Allemagne. Encore un signe fort des idées qui s'exportent !
D'un côté, cette Egyptienne voilée, bien intégrée, diplômée, mariée à un chercheur travaillant pour le très prestigieux Max-Planck Institut... a payé le renoncement collectif à voir la vérité en face. De l'autre, un Allemand d'origine russe, au chômage, et vivant de l'aide sociale, recourant aux méthodes terroristes imputées à un certain islam... réputé culturellement proche du pays où il avait choisi de vivre. On comprend mieux le silence des médias européens.
Quel est celui des deux qui avait réussi son intégration ? Quel était celui des deux qui méritait la nationalité allemande ? Quand se décidera-t-on à dépasser des principes populistes simplistes, pour regarder la réalité en face ? Qui bouscule les évidences ? Qui dénonce ce racisme absurde reposant sur la répétition médiatique de généralités tirées de situations individuelles ? Où sont les terroristes extrémistes ? Imaginez un instant une inversion des rôles dans ce crime odieux ? Etes vous certain que nos bons médias français (Libération en a largement parlé) auraient passé sous silence un tel événement ?
Les Allemands ont la mémoire courte, mais ils ne sont pas les seuls. La crise sociale risque, en effet, de ramener la peste brune de manière plus feutrée, plus classe, plus officielle, plus acceptable. A force de banaliser un certain nombre d'idées, de transformer l'immigré « visible » en ennemi social, de ne pas mettre en évidence nos contradictions, de refuser la prise en compte de nos propres turpitudes, nous construisons un monde de la déraison. La modestie s'impose, mais surtout plus le silence.
Mais je déblogue...