Pour lui, tout avait basculé vers 1986, - après de belles années où, même si on se faisait mal sur le vélo, on s'enivrait, on dansait, on ramenait des filles -, dans les années fric, formatées, robotisées, celles où il ne fallait surtout pas perdre 8 secondes. « Tel le Fabrice de La Chartreuse de Parme, qui participa à Waterloo sans savoir de quoi il retournait, Laurent Fignon ne comprit pas ce qu'il voyait sur le Tour de France 1991 : des gars très moyens roulaient à bloc, sourire aux lèvres, à 150 bornes de l'arrivée, des dizaines de sous-fifres l'enrhumaient dans un col, alors qu'il écrasait les pédales comme un damné. Quelque chose échappait au grand blond à lunettes. Il ne mit pas longtemps à mettre un nom sur ce nouveau Waterloo qui se résumait à trois lettres : EPO. Seul, le cycliste l'est toujours. Seul, le champion l'est davantage encore. Mais c'est une autre solitude que décrit le double vainqueur de la Grande Boucle : sur ce Tour de l'étrange, il ne pédalait plus dans la même catégorie. Tout en avouant avec honnêteté que, s'il n'avait pas été en fin de carrière, il aurait fait la queue comme tout le monde » explique avec talent et tact François-Guillaume Lorrain sur le site lepoint.fr Et c'est là que le doute s'installe ! C'est là que les secondes doivent durer des heures dans une vie.
SANS AUCUN LIEN
L'ancien vainqueur du Tour de France (1983, 1984), a révélé jeudi sur Europe 1, et dans l'émission "7 à 8" à diffuser demain sur TF1, qu'il souffre d'un "cancer avancé", mais sans établir de lien avec la prise de produits dopants. "On m'a détecté un cancer des voies digestives. On ne sait pas trop où exactement. C'est une mauvaise nouvelle", déclare Fignon, 48 ans, qui évoque sa carrière et le dopage au sein du peloton, dans un ouvrage intitulé "Nous étions jeunes et insouciants", à paraître aux éditions Grasset. "Mon cancer est un cancer avancé, puisqu'il a envoyé des métastases, précise le champion à TF1. (...) C'est certainement le pancréas. Donc, on ne sait pas ce qui me reste à vivre. On ne sait pas ce qui va se passer. Mais je suis optimiste. On va se battre et réussir à gagner ce combat". On se croirait au départ d'un autre contre la montre, beaucoup plus important que celui d'il y bizarrement 40 ans !
"J'ai entamé une chimiothérapie il y a à peu près 15 jours. J'ai fait ma deuxième séance il y a quelques jours. Ca se passe plutôt bien, je suis en bonne forme. J'ai 5 séances prévues, on refera une analyse complète après le Tour de France. Pour l'instant, j'en sais pas plus que vous. Tout va bien", a-t-il temporisé sur Europe 1.
Interrogé par TF1 sur le lien éventuel entre sa maladie et le dopage, la prise d'amphétamines et de cortisone durant sa carrière de coureur, qu'il évoque dans son livre, Laurent Fignon répond: "Je ne vais pas dire que cela n'a pas joué. Je n'en sais absolument rien. C'est impossible de dire oui ou non. D'après les médecins, apparemment non".
"J'ai expliqué franchement (aux médecins) ce que j'avais fait dans ma carrière, ils m'ont dit « ça ne peut pas être ça. Ce serait trop simple ». Et puis il y a en avait des dizaines, parce qu'à mon époque, tout le monde faisait la même chose, comme aujourd'hui tout le monde fait la même chose", ajoute-t-il."Est-ce que le mien vient de cela? s'interroge-t-il. Le cancer digestif, c'est d'abord une histoire de nutrition. Les produits que l'on ingère le sont par intramusculaire, ils ne passent pas par l'estomac. Donc, non! Si tous les cyclistes qui se sont dopés devaient avoir un cancer, on en aurait tous".
DES PRECEDENTS ILLUSTRES
L'Américain Lance Armstrong, sept fois vainqueur du Tour de France entre 1999 et 2005 après avoir soigné un cancer des testicules, lui a adressé ses voeux de prompt rétablissement. Il ne lui a cependant pas rappelé la fin de Jacques Anquetil, car ce serait un rapprochement terrible. En effet, on a oublié que son prédécesseur sur le podium du Tour est décédé en 1987 d'un cancer de l'estomac ! Lui aussi avait usé des amphétamines par voie musculaire et lui aussi avait eu un cancer des voies digestives.
Comment ne pas faire un parallèle malheureux ? Sa mort ne surprit personne, car l'orage avait été annoncé. Avec sa franchise, Jacques n'avait pas caché la gravité du mal qui le frappait. Il avait été hospitalisé, le 6 novembre 1987, à l'hôpital Pasteur de Colmar en raison « d'anomalies de la numération sanguine et de douleurs diffuses ». Deux jours plus tard, le communiqué médical était beaucoup plus direct et alarmant : « Le patient souffre de métastases d'un cancer de l'estomac au niveau de la colonne vertébrale. Ces métastases sont à l'origine des douleurs osseuses pour lesquelles Jacques Anquetil a été hospitalisé. » Entre sa première opération et son décès, un peu plus de trois mois se seront écoulés... et la légende n'était plus de ce monde. Le vélo change de braquet dans les années Anquetil (dont la moyenne record de 37,317 km/h dans le Tour 1963 ne sera pas améliorée avant la victoire de Bernard Hinault en 1981). L'escalade des cadences se poursuit tout au long des années 70. « Le Belge Freddy Maertens, raconte Jean-Pierre de Mondenard, est un exemple emblématique de ce stakhanovisme . Il a été engagé en 1978 dans 220 courses, en a gagné 56 et a totalisé 23 jours de courses entre le 24 mars et le 1er mai. Les coureurs de cette époque couraient fréquemment plus de 200 jours par an. »
Que disent les statistiques ? Sur les 677 coureurs de cette époque, on dénombre 77 décès, soit un peu plus de 11%. Quand on examine la mortalité par tranche d'âge, une première observation frappe : la survie des coureurs devient de moins en moins bonne au cours des ans.
A mesure que l'on avance dans le temps, on relève de plus en plus de morts avant l'âge de 60 ans. Le peloton semble évoluer à rebours de la population générale, dont la mortalité diminue dans toutes les tranches d'âge depuis la guerre, mais dans quelques semaines, on continuera à regarder les ascensions de cols à un rythme de motocyclettes, ou les contre la montre au niveau du record de l'heure sur piste. C'est le spectacle qui continue !
ANCIENS ET MODERNES
Pour analyser cette évolution paradoxale, les statisticiens de l'Institut Curie ont distingué deux sous-groupes : les coureurs dont l'année de milieu de carrière est antérieure ou égale à 1961, et ceux pour qui elle est postérieure. Schématiquement, les « anciens » correspondent à la génération d'avant guerre et à la période Coppi-Bobet. Les « modernes » sont très majoritairement nés après la guerre et ont couru pendant les années Anquetil, Merckx, Hinault ou Indurain. Darrigade, notre champion de longévité, fait partie des anciens, mais il a connu le début de la période moderne.
Le groupe des anciens comprend 285 sujets, dont 229 en vie ; le groupe des modernes 392 sujets, dont 370 vivants. La moyenne d'âge du premier groupe est de 70 ans, celle du second 44. Le déséquilibre entre les deux traduit le fait que le premier correspond vraiment à une génération, tandis que les modernes comprennent à la fois les enfants du baby-boom et le début d'une génération plus jeune, née autour de 1970.
Le groupe le plus âgé se distingue par une santé exceptionnelle. Si l'on oublie les décès précoces de Louison Bobet, Jean Robic ou Roger Rivière, nos anciens ont dans l'ensemble une pêche d'enfer. Les octogénaires fleurissent. Leur doyen, Lucien Lauk, a aujourd'hui 87 ans et a couru les Tours 48 et 50. Au total, 93% des anciens atteignent 60 ans, 70% vivent encore à 80 ans. A titre de comparaison, dans la population générale, on compte environ 85% de survivants à 60 ans, 70% à 70 ans, 40% à 80 ans (données de 1975). Ainsi, les anciens ont quasiment une décennie de bonus sur le Français moyen !
En comparaison avec l'étonnante conservation de leurs aînés, les modernes ont triste mine : 85% de survie à 60 ans, pas mieux que la population générale. Ils sont trop jeunes pour qu'on puisse calculer leur taux de survie à 80 ans, mais s'ils continuent sur leur lancée, ils n'auront pas la longévité remarquable de leurs aînés. Une fois de plus, notre Poupou national fait figure d'exception qui confirme la règle : âgé de 63 ans, il semble bien parti pour démontrer que, dopage ou pas, le vélo vous maintient son bonhomme.
Pour les maladies vasculaires, les cadets s'en sortent également moins bien que leurs aînés, mais l'écart n'est pas significatif. En revanche, si l'on se limite aux décès avant 45 ans, la différence devient explosive : les cinq coureurs cueillis dans la fleur de l'âge par des crises cardiaques ou des accidents vasculaires sont tous des modernes. Aucun décès de ce type n'a été enregistré chez les anciens, et ces cinq morts constituent bien une anomalie criante. D'autant que les coureurs du peloton affichent au départ une constitution plus robuste que la moyenne nationale. Le cancer, c'est de toutes manières le dopage. Mais doit-on jeter la pierre aux seuls cyclistes, quand on sait qu'à 8 secondes près on peut entrer dans l'éternite !
Mais je déblogue...